Égypte : une photographe sur les traces des pharaons
Photographe portraitiste et documentaire avec Brest comme port d’attache, j’ai passé un mois en Égypte à parcourir les sites antiques majeurs et méconnus de la vallée du Nil. Ce voyage, aussi intense qu’inspirant, m’a profondément marquée : il a transformé ma manière de photographier, de penser la lumière, et d’aborder la mémoire visuelle. Voici le récit de cette immersion dans une terre où chaque pierre porte encore la voix des anciens.
Complexe funéraire de Saqqarah, une vaste nécropole qui remonte à environs 2600 avant notre ère.
Une leçon d’humilité
L’histoire a cette capacité brutale à nous remettre à notre place. En marchant dans les pas des pharaons, en photographiant les reliefs millénaires et les vestiges de temples oubliés, j’ai ressenti un vertige que de rares pays peuvent provoquer. En Egypte, le passé n’est pas derrière nous : il est partout. Il s’impose. Il enveloppe. Il est sur chaque mur.
Moi qui suis habituée à capter les émotions des visages contemporains dans mon studio, j’ai dû me réadapter : repenser la notion de durée. Accepter que certaines choses résistent au temps bien mieux que nous.
Alexandrie : Dans l’ombre des empires
Alexandrie a été ma dernière étape, mais en réalité, c’était la première dans mon cœur. Capitale culturelle et intellectuelle à l’époque hellénistique, fondée par Alexandre le Grand, cette ville porte encore en elle le souffle de Cléopâtre, des Ptolémées, et des manuscrits disparus de la célèbre bibliothèque, qui rendent fiers les habitants.
Ce qui m’a frappée, c’est cette coexistence entre vestiges et chaos contemporain des rues. J’ai plongé dans le port pour photographier les ruines immergées de l’ancien palais royal. Colonnes brisées, statues enfouies sous les algues, traces de grandeur avalées par la mer. La mémoire engloutie du vieux phare aussi, mais vibrante.
Mon objectif n’a pas quitté mes mains : chaque coin de rue, chaque reflet, chaque texture raconte quelque chose. Alexandrie n’est pas une ville figée : c’est une ville qui palpite sous la surface.
Temple de Denderah en Egypte, débuté à la demande de Ptolémée XII, père de Cléopâtre. Ça donne une vague idée, une échelle de la taille de l'architecture antique.
Denderah : le silence des déesses
Le temple d’Hathor à Denderah est l’un des lieux les plus intacts que j’ai visités. Moins touristique que Karnak ou Louxor, il offre une expérience rare : celle d’un tête-à-tête avec l’architecture sacrée et les bâtisses des Ptolémées.
Les colonnes y sont massives, finement décorées. Les fresques colorées racontent des scènes mythologiques et politiques. On y croise les silhouettes de Cléopâtre VII et de son fils Césarion, figés dans la pierre.
Gizeh, Saqqarah, Dahchour : la démesure
On pense connaître les pyramides. On croit qu’on les a déjà « vues » à travers des images. Mais c’est faux. Tant qu’on ne se tient pas face à elles, tant qu’on ne les photographie pas sous cette lumière franche et rasante, on a du mal à comprendre leur force.
J’ai passé des heures à Gizeh, Saqqarah et Dahchour. J’ai observé les ombres bouger, les contours s’adoucir au fil de la journée. J’ai cadré, recomposé, cherché à révéler le silence qui habite ces formes géométriques parfaites. À l’intérieur, j’ai photographié les murs recouverts de hiéroglyphes, me demandant : est-ce que moi aussi, je cherche à défier l’oubli ? Est-ce que chaque portrait que je fais n’est pas, à sa manière, une tentative de permanence et d’immortalité ?
Le Nil : source de vie
Le Nil est bien plus qu’un fleuve. C’est une matrice, c’est la “mère du monde”. Il façonne le paysage, la culture, les habitudes. Le suivre, c’est traverser des mondes. J’ai longé ses rives en voiture, en felouque, souvent à pied. À chaque détour, j’ai trouvé une Égypte différente : plus intime, plus vivante.
Les palmiers, les marchés, les scènes de vie quotidienne, tout se prête à la photographie. Mais c’est au coucher du soleil que le miracle se produit. La lumière devient dorée, presque liquide. Les contrastes explosent. J’ai travaillé cette lumière naturelle comme je travaille mes éclairages en studio : avec précision, avec émotion.
Détails de hiéroglyphes. En Égypte, l’Histoire est gravée dans chaque fissure, sur chaque mur.
Ce que l’Égypte m’a appris
Ce voyage n’est pas qu’une aventure. Il est devenu une extension naturelle de mon travail. Il fait écho à mon projet Long Live the Fallen World, qui interroge la mémoire, l’héritage, le rapport à nos racines.
En Égypte, j’ai vu comment la lumière peut devenir langage. Comment l’image peut survivre à son créateur. J’applique aujourd’hui ces leçons dans mon travail de portrait en studio. Je cherche cette même intensité. Cette même gravité. Ce même désir de transmission et d’immortalité. Ce voyage m’a rappelé pourquoi je photographie : pour figer ce qui passe, pour honorer ce qui reste. Pour créer des ponts entre l’éphémère et l’éternel.
Et vous ? Vous avez déjà visité ce pays ? Qu’est-ce qui vous a le plus marqué en Egypte ?